Retour à Reims [Fragments]

 

En adaptant des fragments de l'ouvrage de Didier ribon, Jean-gabriel. Périot dresse un tableau remarquable et combatif du destin ouvrier des années 1940 à nos jours. La mise en image du texte, lu par A. Haenel, avec des archives de fictions ou de documentaires est éblouissant.

Les fragments ici retenus par Jean-Gabriel Périot dessinent une histoire de la classe ouvrière à partir de la biographie de la famille de Didier Eribon. Ses parents ouvriers se sont épuisés à l'usine, ont eu des conditions de vie précaires, et ont été victimes de représentations leur interdisant toute sortie de leur statut social. Le deuxième mouvement, plus politique, s'intéresse au vote ouvrier, sa migration du Parti Communiste au Rassemblement National. Un montage d'archives de fictions et de documentaires illustre le texte lu par Adèle Haenel. Les fragments non retenus concernent principalement la dimension la plus intime de l'ouvrage, l'homosexualité de l'auteur, et son rejet, par sa famille et son milieu social, dû à son orientation sexuelle. Il revient à Reims quand, à force d'études, il est parvenu à échapper au destin ouvrier. et est devenu un intellectuel renommé, La question centrale dans le livre du transfuge de classe sociale n'apparaît pas non plus. Le je du narrateur a conservé. Mais il s'entend plutôt ici comme un nous, plus collectif et plus abstrait, celui de générations de travailleurs. Le travail à l'usine, le logement en HLM, la condition des femmes, et déjà l'immigration, sont autant de thèmes développés à partir de l'expérience familiale de l'auteur. Il décrit les structures de distinction sociale à l’œuvre à l'école comme à l'usine, qui découragent voire interdisent toute sortie de la condition ouvrière. Le deuxième mouvement en explore les répercussions politiques dans l'histoire du pays. Il montre comment la classe ouvrière, à partir de l'accession de la gauche au pouvoir en 1981, qui s'empressera de supprimer le mot de travailleur de son vocabulaire, a commencé à délaisser un Parti Communiste déclinant pour se reporter vers le Front National émergeant. Les trahisons, les promesses non tenues des partis de gauche, les politiques d'immigration floues et contradictoires sont autant de marqueurs de l'abandon progressif de cette classe au profit des classes moyennes, nouveau cœur de cible du Parti Socialiste. Au cours du film, l'expression « à peine imaginable » est utilisée plusieurs fois, que ce soit pour décrire la tabagie des ouvriers, ou leurs conditions de travail. La mise en image du texte s'appuie sur des documents cinématographiques comme télévisuels, issus de fictions comme de documentaires. Ils étayent, soulignent, commentent le texte. Ces images individualisent le propos, en mettant un visage sur une statistique, en donnant chair à une catégorie de population. La qualité de résonance qu'entretiennent ces images-là avec ces mots-ci est remarquable. Le film, résolument combatif dans son épilogue, prolonge le propos du livre, en illustrant certains passages par des images du mouvement des Gilets jaunes. La fluidité du montage, malgré l'hétérogénéité du matériel, et l'utilisation pertinente des documents, captent l’attention du début à la fin, la fin étant aujourd’hui, là où nous en sommes.

 

J. C.
Les Fiches cinéma
Mars 2022